Encore merci à Irène Delse et son blog. Elle remet au goût du jour, jamais démodé surtout par les temps qui courent, un poème de Jacques Prévert. Un extrait de « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France » publié dans le recueil Paroles en 1946. C’est fou comme ce dîner de têtes à Paris convient bien à l’époque, 62 ans plus tard. Pile poile dans l’actualité de septembre 2008, sans une ride ni un pli. Résister à la laïcité « positive » en poésie, qu’elle belle idée ;-)
Ceux qui pieusement
Ceux qui copieusement
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes(1)
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… ont
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons
Ceux qui flottent et ne sombrent pas
Ceux qui ne prennent pas le Pirée pour un homme
Ceux que leurs ailes de géant empêchent de voler
Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine
Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton
Ceux qui volent des œufs et n’osent pas les faire cuire
Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de poitrine et qui en sont fiers
Ceux qui mamellent de la France
Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres entraient fièrement à l’Élysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait.
Une laïcité vivante, n’a pas besoin de devenir « positive » pour dialoguer entre croyants de toutes obédiences et athées, au sien de la République. Au nom de la vie poétique pour dépasser celle prosaïque, tellement ennuyeuse et manipulée, il faut savoir relier l’actualité à l’explosive poésie des convenances. Jacques Prévert est un allié important dans cette tâche, un résistant intemporel à l’air du temps du prosélytisme. Un sourire doit toujours vaincre, riez avec Paster Noster, issu de Paroles qui est une de mes bibles ;-).
Pater noster
Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son Océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuilleries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-même d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Aves leur tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des canons.